Palestine dans les manuels scolaires israéliens : radiographie d’une éducation au conflit (Analyse)

Comment des enfants élevés dans des valeurs prétendument humanistes peuvent-ils devenir les acteurs d’une occupation brutale ? C’est la question poignante au cœur de l’enquête menée par Nurit Peled-Elhanan dans son ouvrage incisif : Palestine in Israeli School Books.

Présentation de l’auteur – Une voix israélienne critique au cœur du récit

Nurit Peled-Elhanan est une figure marquante du paysage intellectuel israélien. Professeure de linguistique et d’éducation à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle est également une militante engagée pour la paix et les droits humains, co-récipiendaire du Prix Sakharov pour la liberté de pensée en 2001. Tragiquement marquée par la perte de sa fille de 13 ans dans un attentat suicide en 1997, Peled-Elhanan est devenue une critique virulente de l’occupation israélienne. Son intérêt pour l’analyse des manuels scolaires israéliens découle d’une interrogation fondamentale : comment l’éducation contribue-t-elle à former des jeunes Israéliens qui, après avoir reçu une éducation basée sur des valeurs humanistes, se retrouvent à perpétrer des actes de violence et de déshumanisation à l’égard des Palestiniens dans l’armée? Son point de vue, celui d’une universitaire israélienne, confère une pertinence et une force particulière à son analyse.

Résumé du livre – Démontage des mécanismes de l’endoctrinement

Palestine in Israeli School Books dissèque minutieusement les manuels scolaires israéliens utilisés dans les matières d’histoire, de géographie et d’éducation civique. Loin d’être des outils neutres de transmission de connaissances, ces manuels sont présentés par l’auteure comme étant profondément imprégnés d’une idéologie pro-israélienne. L’ouvrage révèle comment ces supports pédagogiques marginalisent systématiquement les Palestiniens, légitiment les actions militaires israéliennes et renforcent une identité territoriale exclusivement judéo-israélienne. À travers l’analyse des images, des cartes, de la mise en page et du langage employé, Peled-Elhanan met en lumière les mécanismes subtils mais puissants par lesquels les enfants israéliens sont préparés, dès leur plus jeune âge, à accepter et même à justifier l’usage de la force contre les Palestiniens. Le livre déconstruit la manière dont l’histoire est réécrite et le présent façonné pour servir un récit national dominant.

Thèmes principaux – Un réseau complexe de récits biaisés

L’analyse de Nurit Peled-Elhanan révèle plusieurs thèmes interconnectés qui structurent le discours véhiculé par les manuels scolaires israéliens :

  • Racisme et déshumanisation : Les Palestiniens sont fréquemment présentés comme des problèmes démographiques ou sécuritaires, voire comme une menace existentielle. Ils sont décrits à travers des catégories stéréotypées (“terroristes”, “primitifs”) et rarement représentés comme des individus avec une vie et une culture propres. Cette absence de représentation humaine favorise leur déshumanisation.
  • Le grand récit sioniste : Les manuels scolaires inculquent une mémoire collective créée par le sionisme, un récit de déclin depuis un âge d’or antique jusqu’à l’exil et l’Holocauste, suivi d’une rédemption par le retour sioniste. Ce récit nie 2000 ans de vie juive en exil et toute vie significative en Palestine durant cette période, présentant le retour comme une reconquête d’une terre “vidée” des “envahisseurs arabes”.
  • Négation de la Nakba : L’expulsion et le déplacement des Palestiniens en 1948 sont soit passés sous silence, soit présentés comme un “vol paniqué” ou un abandon volontaire de leurs terres. La responsabilité israélienne est minimisée, et le droit au retour des réfugiés palestiniens est nié.
  • Légitimation de la violence et de l’occupation : Les actions israéliennes sont généralement présentées comme des réactions légitimes à l’hostilité arabe ou comme des mesures de sécurité nécessaires. Les opérations militaires et les représailles sont justifiées, tandis que la résistance palestinienne est criminalisée.
  • Exclusion et ségrégation : Les citoyens palestiniens d’Israël sont souvent désignés par le terme dévalorisant d'”Arabes israéliens” et leur existence est présentée comme un “problème démographique”. Les cartes omettent les villes arabes en Israël, et les réalités vécues par les Palestiniens sont invisibilisées.
  • Préparation à l’armée : L’éducation israélienne, à travers les manuels et les activités scolaires, semble orientée vers la formation de futurs soldats. L’armée est présentée comme un sommet de l’éducation, et les modèles sont souvent des combattants.

Analyse critique – Un démontage méthodique et révélateur

Le style d’écriture de Nurit Peled-Elhanan, tel qu’il transparaît dans les extraits d’interviews, est accessible et engagé, tout en s’appuyant sur une rigueur académique. La construction de son livre, basée sur l’analyse concrète de manuels scolaires spécifiques (histoire, géographie, éducation civique), confère une ठोसité à son argumentation. La puissance des messages réside dans la confrontation directe entre le discours officiel israélien, tel qu’il est véhiculé aux enfants, et la réalité de l’occupation et du conflit. L’auteure ne se contente pas de décrire, elle dénonce les mécanismes de manipulation et d’endoctrinement à l’œuvre dans le système éducatif. La répétition de certains motifs (l’absence de Palestiniens dans les représentations visuelles, leur désignation systématique comme “problèmes”, la glorification des actions militaires israéliennes) renforce l’impression d’un système bien rodé visant à façonner une vision du monde particulière chez les jeunes Israéliens.

Résonance politique ou historique – Un éclairage essentiel sur le conflit

Ce livre est d’une pertinence politique et historique cruciale pour comprendre la persistance et la complexité du conflit israélo-palestinien. Il met en lumière le rôle fondamental de l’éducation dans la formation des attitudes et des perceptions envers “l’autre”. En révélant comment les manuels scolaires israéliens construisent une narrative partiale et déshumanisante des Palestiniens, Peled-Elhanan offre un éclairage essentiel sur les fondements idéologiques qui sous-tendent les politiques et les actions d’Israël. Son analyse trouve également une résonance plus large dans le contexte des luttes décoloniales, en montrant comment les pouvoirs coloniaux ont historiquement utilisé l’éducation pour marginaliser et déshumaniser les populations autochtones. L’ouvrage soulève des questions fondamentales sur la responsabilité de l’éducation dans la promotion de la justice, de l’empathie et de la compréhension mutuelle, plutôt que dans la perpétuation de l’hostilité et du conflit.

Conclusion personnelle – Un livre nécessaire pour une prise de conscience

Je recommanderais vivement Palestine in Israeli School Books à toute personne intéressée par la Palestine, les dynamiques du conflit israélo-palestinien, les études décoloniales et la littérature engagée. Ce livre est particulièrement pertinent pour les éducateurs, les étudiants en sciences sociales et politiques, les journalistes et tous ceux qui souhaitent comprendre en profondeur les racines idéologiques du conflit. L’analyse rigoureuse et le regard critique de Nurit Peled-Elhanan offrent une perspective essentielle, souvent absente des récits médiatiques dominants. Comprendre comment l’éducation peut être instrumentalisée pour perpétuer l’injustice et la déshumanisation est une étape cruciale vers une prise de conscience et un engagement éclairé pour une paix juste et durable.

Informations pratiques

  • Titre original : Palestine in Israeli School Books: Ideology and Propaganda in Education
  • Auteur : Nurit Peled-Elhanan
  • Année : 2012 / 2013
  • Langue : Anglais
  • Éditeur : Bloomsbury Publishing

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